On doit le tirage en croix au grand ésotériste Oswald Wirth, qui en donne les détails dans son Tarot des imagiers du Moyen-Age (1927). C’est aujourd’hui un des tirages les plus pratiqués en France. Reprenons-en l’explication, parce qu’il a une particularité très intéressante qu’on a tendance à oublier ; on verra peut-être d’un autre oeil ce tirage si utilisé par chez nous.
Le tirage en croix se pratique généralement avec les majeures seules. Pourquoi ? Parce qu’il est pensé pour faire ressortir de grandes problématiques, sans s’embarrasser de détails. C’est aussi un tirage extrêmement exigeant, ce qui correspond bien à la force des majeures. Certains les recouvrent ensuite par des mineures pour obtenir les détails, mais on peut penser que cela affaiblit le tirage.
1. La particularité du tirage
L’intérêt du tirage en croix, et ce qui le rend si exigeant, c’est qu’il reproduit la structure d’un procès. La position de chaque carte lui donne un rôle dans une cour d’assise, et c’est notre problème qui est jugé avant que le Tarot ne délivre la sentence qui tient lieu de réponse et de conseil.
La première carte, à gauche, représente ce qui va dans votre sens, le positif, ce sur quoi vous pouvez compter, etc. C’est donc l’avocat de la défense.
La seconde carte, à droite, représente ce qui va contre vous, le négatif, ce dont vous devriez vous méfier. Elle joue donc le rôle de l’accusation.
Donc, dans une situation donnée, vous avez du pour et du contre – d’où le dilemme qui vous conduit à interroger le Tarot. Ensuite, il faut que quelqu’un écoute ces deux points de vue pour en faire la synthèse.
La troisième carte est placée en haut, parce qu’elle préside (on reconnaît l’habituelle mise en scène) ; c’est le juge. Comme le juge est impartial, il peut vous dire ce qu’il en est maintenant. Il a fait la synthèse des plaidoiries des deux avocats précédents, et prononce ce qui est juste : il vous aide à comprendre où est votre avantage. Il vous donne le conseil.
Maintenant que le juge sait ce qu’il en est vraiment, il va falloir qu’il délivre sa sentence.
La quatrième carte est donc placée tout en bas parce qu’elle représente ce qui découle du reste. Une sentence, c’est ce vers quoi on va ; quand un juge dit à un accusé que la sentence est de trois ans de prison, l’accusé n’est pas encore en prison, mais c’est ce vers quoi les choses se dirigent pour lui !
On a donc déjà une double réponse à notre question initiale :
Avec le juge, on sait ce qu’il en est du présent.
Avec la sentence, on peut présager du futur proche – toujours par rapport à la question qui nous préoccupait au départ.
On n’en attendait pas tant, et à la limite on pourrait s’arrêter là.
2. La somme
La cinquième carte est la somme ou la synthèse, et finalement c’est intéressant. On la calcule en prenant en compte toutes les autres cartes, c’est-à-dire que symboliquement, on fait la synthèse de l’ensemble du tirage. Mais que peut-on apprendre de plus si on connaît déjà la vérité sur la question de départ, et qu’en plus on sait à quoi s’attendre ?
La somme est là pour nous dire ce que tout cela signifie. C’est-à-dire qu’elle remet les choses en perspective pour nous dire de quoi, en réalité, il était question. Parfois, un problème particulier peut attirer notre attention jusqu’à nous faire oublier qu’il est en réalité le symptôme de quelque chose de plus vaste. Par exemple, une querelle de voisinage peut en réalité recouvrir un problème social qui vient de plus haut ; connaître le vrai sujet de la question posée nous donne une chance d’aller le résoudre à la source.
La somme n’est donc pas la réponse à la question posée (ça, c’est la sentence), mais elle va plus loin en donnant de la perspective : de quoi parle-t-on réellement quand on pose la question de départ.
On voit bien qu’entre le juge (ce qu’est vraiment la situation), la sentence (ce vers quoi elle va) et la somme (ce que tout cela veut dire réellement) on gagne un niveau de conscience à chaque fois. Et comme c’est la somme la plus importante, Wirth la lit en premier, vu qu’elle permet de comprendre le reste du tirage.
(Pour le tirage lui-même, Wirth propose quelque chose d’un peu étrange, qu’on n’est pas obligé de faire. Mélanger le jeu. Demander au consultant un chiffre entre 1 et 22 ; compter autant de cartes, celle à laquelle on arrive est la 1ere carte tirée ; demander un nouveau chiffre, et ainsi de suite jusqu’à ce que le tirage soit complet. C’est vraiment long ; et comme les chiffres cités correspondent à des arcanes, ils peuvent trahir ce que le consultant veut entendre s’il les connaît aussi. A priori, c’est plus simple de tirer normalement).
3. Comment calculer la somme
Calculer la somme à partir des valeurs des cartes précédentes, sans la tirer du jeu, a un effet intéressant : le résultat de la somme peut être une carte déjà sortie sur la table, ce qui la met fortement en lumière. Et il faut reconnaître que tous les problèmes ne sont pas des symptômes de quelque chose d’autre, donc c’est un effet bien utile.
En général, on utilise la technique dite de la “somme théosophique” : on additionne tout, puis on additionne le chiffre des dizaines à celui des unités, jusqu’à avoir réduit tout ça à un chiffre entre 1 et 22 (22 étant le Mat dans ce cas-là). Problème : comme 10 et 11 correspondent à des arcanes, on va arrêter là la réduction et considérer que c’est cela la somme. Par conséquent, le Bateleur (1+0) et la Papesse (1+1) ne sortiront jamais, ce qui est bien dommage parce qu’ils ont de grandes choses à dire.
Deux solutions :
1) Alain Bocher, dans le livret du Tarot de la rea propose ceci : si on trouve 10 et que l’arcane X est déjà sur la table, alors on réduit à nouveau, 1+0=1=Bateleur, et pareil pour 11. Problème : on ne peut plus obtenir deux fois X ou XI, une fois dans le tirage et une fois par la somme ; or on a vu que cela pouvait être utile pour des problèmes qui n’étaient pas le symptôme de quelque chose d’autre, et c’est dommage de rater cet aspect-là.
2) Quelqu’un qui a de la patience avec les chiffres (ai reçu cette fonction sur mon berceau) a trouvé que si on additionnait toutes les cartes, puis qu’on ôtait 22 autant de fois qu’il fallait pour se retrouver avec un chiffre de 0 à 21, alors toutes les cartes avaient la même probabilité de sortir en synthèse.
Cette seconde méthode serait donc la meilleure. On peut toujours tirer la somme au hasard du paquet, puisque c’est en réalité ce qu’on fait de toute façon, mais la “déduire” de ce qui est déjà présent est tout de même une symbolique forte.
Vous voilà donc muni du tirage en croix originel, et connaître sa signification profonde devrait vous aider à manipuler ses emplacements plus facilement !
La structure du tirage
Exemple pour une croix classique en 4 lames + la somme (5)
Disposition du tirage :
3
1 5 2
4
Calcul de la synthèse avec réduction théosophique :
Exemple: 1+11+21+19 = 52 = 5+2= 7 Le Chariot
En 1 : Le Bateleur
En 2 : La Force
En 3 : Le Monde
En 4 : Le Soleil
En 5 : Le Chariot
21
1 7 11
19
Calcul de la synthèse sans réduction théosophique mais en enlevant autant de fois 22 sur la somme obtenue :
1+11+21+19 = 52 = 52-22 = 30 = 30–22 = 8 La Justice
21
1 8 11
19